"Une étudiante de l'université de Columbia a été retrouvée sans vie dans son appartement, vers six heures du matin. La victime, Savanah Smith, serait âgée de 19-"

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J'éteins rapidement la télévision au moment même que la photo de la victime apparait à l'écran,  et sous le regard confus d'une des bonnes dont je ne connais le prénom, je me lève de ma chaise sans dire un seul mot. Je n'ai rien mangé, mon plat est intact. De toute façon, depuis hier soir, j'ai la nausée. Il y a quelque chose en moi qui m'empêche d'avaler quoi que ce soit excepté de l'eau, et je crois bien savoir pourquoi. J'aurais aimé croire que j'étais enceinte pour avoir une explication concrète à ce sentiment et ressentir quelque chose, mais malheureusement, ce n'est pas le cas. Il y a ce dégoût au fond de ma gorge qui ne me laisse pas vivre tranquille, et ces images passent en boucle dans ma mémoire depuis hier soir. Je n'arrive pas à croire que ça se soit réellement passé. 

Je me rappelle avoir cru qu'il s'agissait d'un mauvais rêve, d'un cauchemar. Pourquoi il fallait que j'aille fouiller sur l'ordinateur de mon père? Faut croire que ma curiosité m'avait menée loin, peut-être trop. Et depuis la veille, je ne pensais qu'à une seule chose. Je n'aurais jamais dû m'approcher de son ordinateur. Je n'aurais jamais dû fouiller. Je n'aurais jamais dû me poser des questions sur Hell.com. J'ai vu des choses que je n'aurais pas dû voir. Pourquoi il fallait que je suive les instructions sur ce foutu post-it qu'il avait laissé échapper dans la cuisine?

Maintenant j'en souffre les conséquences. J'ai vu quelque chose de terrible, et personne ne peut contester mes mots. J'ai vu ce que j'ai vu, et voir ces nouvelles à la télévision ne fait qu'augmenter mes nausées. On dit que la jeune femme s'est suicidée suite à une psychose provoquée par l'héroïne retrouvée dans son système après s'être ouvert le ventre. Et pourtant, me voilà à savoir que ça n'a pas été le cas. J'ai vu cette fille mourir de mes propres yeux. J'ai vu ces prunelles bleues s'écarquiller sous la surprise, j'ai vu cette expression terrifiée sur son visage. J'ai entendu ses putains de cris, je l'ai vu supplier qu'on la laisse aller, supplier qu'on lui accorde 7 mois de grâce. J'ai vu comment elle essayait de se défendre, comment elle recouvrait son ventre, comment elle regardait l'objectif de la caméra avec laquelle il la filmait, en demandant de l'aide du bout de ses cordes vocales. Et le sang. Bon Dieu, tout ce sang qui recouvrait le sol, son corps en entier. 

J'ai encore cette nausée. Mes pieds me mènent à une vitesse incalculable jusqu'à la salle de bain. au fond du couloir, où je m'agenouille devant le bol de la toilette. Je vomis, encore et encore, jusqu'à ce que des larmes coulent de mes joues, jusqu'à je ne puisse vomir que ma propre salive. Je pleure, mais je ne sais pas pourquoi. Est-ce que parce que je n'arrive plus à vomir, ou parce que je me rends compte que j'ai été témoin d'un double meurtre? Je n'arrive plus à m'arrêter.  Le pire se produit. L'eau avec laquelle je nettoie vaguement mon visage se transforme en sang. Ce n'est qu'en me regardant sur le miroir que je me vois remplie de sang. 

Mon pouls s'accélère. C'est comme si j'entendais encore ces cris qui demandent de l'aide, ces yeux qui regardent l'objectif de la caméra. Qui ME regardent. Cette terrible sensation que j'ai fait quelque chose de mal, cette sensation que j'aurais pu l'aider. C'est comme si je l'entendais me blâmer, me crier que j'aurais pu faire quelque chose. Et je pousse un cri. Un de ces cris d'effroi qui ne passe pas innaperçu. Recroquevillée sur moi-même, me recouvrant la tête, j'essaie que toute cette culpabilité qui m'habite passe.

Et je pourtant je pleure comme lorsque j'étais enfant. Je n'arrive pas à me défaire de ces images qui me hantent jusqu'à mon sommeil. Tous ces cris, tous ces pleurs... Ces mutilations sur son corps, ce scalpel qui ouvre son ventre, ce foetus qui est abattu à mort, le même scalpel qui passe sous la jugulaire de la femme... Je n'arrive pas à croire que j'ai vu ça.

Je sèche mes larmes et je sors de la salle de bain. Sous l'oeil inquiet d'une de mes domestiques, silencieusement, elle me tend une tisane. Elle ne me dit rien, elle n'ose rien me dire pour ne pas me contrarier, mais je sais de quoi il s'agit. Et par l'odeur, je juge qu'il ne s'agit pas d'une tisane normale. Même si je n'ai pas besoin d'un avortement car je ne suis pas enceinte, je me promets de creuser sur le site dont mon père fait partie. 

Ce site pour les élites seulement, on dit. Je me promets de le ruiner à jamais. 

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